Recréations numériques et recherches de Pierre Pané-Farré sur les caractères d’affiches.

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Petite présentation du travail de Pierre Pané-Farré et recension d’un article qu’il a rédigé pour Forgotten Shapes. Il livre en outre sur cette plateforme quatre familles OpenType très complètes de caractères d’affiches inspirés de Haenel et Tarbé & Cie.

Forgotten Shapes

Fonderie animée par Stephan Müller, Pierre Pané-Farré et Reymund Schröder, elle a pour projet de proposer des “reconstructions fidèles” de caractères historiques, tout en en documentant la genèse et l’intérêt, point qui ajoute à la qualité du projet.

Voici la déclaration d’intention de la fonderie :

The assortment of commercially available fonts is in constant flux. Typeface design is inevitably informed by media-specific conditions and the aesthetic discourse of the day. A further layer of complexity derives from the attitudes of the foundry and designers involved. Within each typeface, the entire context of its origin is subtly stored. Once released, additional perspectives accrue through its application. Forgotten Shapes publishes digital reconstructions of typefaces that have somehow vanished. We revive such typefaces according to the guiding principle of Werktreue–that is, in a form as faithful to the original as possible. Extensive research forms the point of departure for all projects. Accompanying articles emphasize the background of each typeface in an appropriate narration along the found sources. These articles lead to an archive in which type design recalls fragments of its genesis.

Le travail de Pierre Pané-Farré

Chercheur et dessinateur de caractères allemand basé à Leipzig, Pierre Pané-Farré axe une partie de son travail de création et de recherche sur les éphémères (principalement les affiches et spécimens) et les caractères d’affiches du dix-neuvième siècle en Allemagne. Il utilise et exploite les photographies urbaines de la fin du dix-neuvième pour mettre en évidence la place extrêmement importante de l’affiche dans la rue. Rue qui devient alors elle-même une sorte de spécimen permettant d’appréhender jusqu’à la taille des caractères utilisés.

Par ce biais, il a notamment étudié les affiches peintes au pochoir directement sur les murs de Paris1. De la même manière il a livré un travail archéologique d’une grande rigueur (servi par une superbe maquette qui lui a valu la médaille d’or du plus beau livre du monde en 20182), avec Soirée fantastique: Plakate der Druckerei Oskar Leiner in Leipzig3. Étude menée d’après photographies (celles d’Alexander Seitz) et en puisant dans le fonds de l’imprimeur Oskar Leiner de Leipzig.

Détail de la "génoise", marque de Tarbé, 1838 (collection personnelle).

Affichen-Schriften

Ce court article4, accompagné d’un beau spécimen (dont la superbe Breite-Fette Antiqua), s’attache à retracer, à l’aide de sources d’époque, l’émergence des caractères d’affiches dans le domaine germanique. Si il ne s’agit pas, comme le souligne l’auteur, d’une étude exhaustive ni définitive, ce texte dresse un bon panorama de la circulation des dessins de lettres d’affiches en Allemagne, et des multiples questions que cette circulation soulève.

Le début du texte brosse à grands traits le développement des caractères d’affiches de fondeurs (par polytypage essentiellement), depuis l’Angleterre avec Figgins, Thorne, Thorowgood etc., en passant par la Belgique en 1827 et la France avec Tarbé et Laurent & Deberny. Ce survol dessine une généalogie des styles au moment de leurs apparitions en Allemagne.

"Vénitiennes" de Laurent et Deberny, 1838, ce dessin se retrouvednas pas moins de 3 spécimens en Europe et aux Etats-Unis en l'espace d'à peine 5 ans. (collection personnelle)

La fonderie Eduard Haenel

C’est en 1833 que Eduard Haenel publie son premier spécimen Schrift und Polytypen Probe, contenant des grands corps d’affiches inspirés en particulier par Thorowgood ou Caslon comme les égyptiennes et les toscanes.
Au fil du texte, Pierre Pané-Farré évoque un fait surprenant : l’influence qu’a pu avoir les affiches imprimées sur les modèles proposés par un peintre en lettres de Gießen. On aurait été tenté de penser l’inverse : la liberté du dessin prenant le pas et inspirant le dessinateur de caractère.

Le choix des illustrations de cet article met particulièrement bien en évidence la rapidité extrême avec laquelle les styles sont “copiés” (les techniques de production, comme la galvanoplastie et le polytypage rendaient ces copies très simples à partir d’une fonte d’un concurrent). Cette rapidité de circulation est telle, qu’il devient parfois, faute de sources suffisantes, très difficile d’attribuer catégoriquement un dessin à tel ou tel fondeur (il serait anachronique de parler de dessinateur de caractère).

Je ne vais pas en dire plus sur ce texte bref mais néanmoins très riche et dense en informations, mais je vous incite à aller le découvrir par vous même.

On aura profit à compléter cette lecture par celle des autres textes de Pierre Pané-Farré cités en notes. Et, comme il le souligne lui-même en introduction à son article, on ne pourra se passer, en particulier pour étudier l’origine anglo-saxonne de ces styles, de lire, ou relire Nicolette Gray5, ou plus proche de nous, l’article de Rob Banham, “Die allergrößten Schriften Englands” dans l’ouvrage collectif Vom Buch auf die Straße (cf. note 4).

La plupart des caractères dit d'affiches sont polytypés, puis mis à hauteur sur bois. Détail du montage de la "génoise", Tarbé, 1838 (collection personnelle).

Recherches à suivre

Le travail de Pané-Farré est précieux pour quiconque est intéressé par l’émergence des grands corps d’affiches. Il aide à appréhender comment cet essor, freiné un temps par les limites techniques de la fonte, va, pour répondre aux besoins croissants des imprimeurs, déboucher sur l’usage de plus en plus répandu du bois, au dépens de la finesse des styles, mais en ouvrant la voie à un langage plastique différent, voire exubérant avant de redevenir plus sobre, en se ressourçant à nouveau aux styles des fondeurs au début du vingtième siècle.

  1. voir la vidéo d’une conférence donnée pour l’Atypi en 2016, avec Éric Kindel, grand spécialiste du stencil, sur les posters au pochoir dans le Paris du dix-neuvième siècle. 

  2. Ce prix a été créé à Leipzig en 1963. Il est organisé depuis 1991 par le Stiftung Buchkunst in Frankfurt am Main und Leipzig

  3. P. Pané-Farré, Soirée Fantastique: Plakate der Druckerei Oskar Leiner in Leipzig , Leipzig, Institut für Buchkunst, 2017. 

  4. Dont certains éléments peuvent être complétés par la lecture de son article sur les caractères chromatiques en Allemagne dans Vom Buch auf die Straße, J. Blume, P. Pané-Farré, F. Smeijers (ed.). Institut für Buchkunst, Leipzig, 2014 

  5. N. Gray, Nineteenth Century Ornamented Typefaces, London, 1976