Comment se fabriquent les caractères bois

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Mis à jour en septembre 2020

Je vais exposer ici quelques éléments sur la fabrication des caractères en bois, je ne parlerai pas de la préparation des bois (découpe, essences utilisées, traitement …) j’y reviendrai peut être ailleurs. Ici l’on ne traitera donc que des questions de technique de taille.
Principalement en partant de l’observation et de la déduction, tant les sources semblent rares.

On peut distinguer 4 techniques de fabrication des lettres en bois :

  • Les lettres entièrement taillées à la main ;
  • la technique mixte, mélangeant taille directe, à la gouge et au canif et machine-outil pour champlever la matière en trop ;
  • la phase industrielle ou prédomine la machine (défonceuse et pantographe) ;
  • les techniques alternatives, visant à éliminer l’étape manuelle (USA).

La taille directe ou taille manuelle

Il s’agit de gravure sur bois au sens strict, la lettre est taillée comme le serait un motif pour une gravure. On peut supposer une certain nombre d’améliorations qui visent à rationaliser la fabrication (il s’agit de suppositions) :

  • Utilisation d’un gabarit en carton fort pour reporter le contour de la lettre à graver ;
  • utilisation d’un gabarit en métal aux bords saillants estampé sur le bois pour reporter, par pression, le contour de la lettre à graver (évoqué par Kelly) ;
  • spécialisation (un même ouvrier spécialisé dans certains types de lettres, ou qui exécute uniquement le report des contours, les finitions, d’autres se chargeant de la taille ou du champlevage…).

Comment reconnaître une lettre taillée à la main.

Un certain nombre de signes permettent de déterminer si un caractère (nous parlerons d’une police) a été taillé à la main :

  • les traces de gouges ;
  • les traces d’entailles de canif ou traces de lignes sur l’œil des lettres, qui peuvent trahir un report à la pointe ;
  • la taille en biseau depuis l’œil de la lettre, vers l’extérieur, jusqu’au talus ;
  • la taille des angles vifs sur les cotés ou le dessous de la lettre ;
  • les différences dans les contours de mêmes lettres dans une même police (voir illustration).
Sur ces deux lettres on voit de façon très nette les traces laissées par la gouge. Caractères taillés à la main (police incomplète).

Technique mixte

Une autre police produite par E. Ploquin de Bressuire (vers 1863, fonte complète de 14 cicero) nous donne des indications sur un usage mixte, à la charnière entre industrialisation et mode de production manuel.
Sur le J, on distingue nettement la trace de la fraise qui a servie à champlever un grand espace rectangulaire.

La première flèche indique la limite de la fraise, entre les deux fûts, la surface est plus haute et a été champlevée à la gouge. La troisième flèche indique l’action du canif, qui a permit de pratiquer une taille en V. Le tracé comparé des deux chiffres nous prouve que le caractère n’a pas été taillé au pantographe, la différence est trop marquée, mais bien plutôt par report avec une matrice de carton dont le contour est dessiné puis taillé. Le soin apporté au report, l’usure de la matrice ou l’habileté de l’ouvrier expliquent ces différences.

Les traces laissées par différents outils. Le masque rouge montre le dessin du premier 2

À noter sur cet exemple, un des 2 a été champlevé à la main, l’autre à la fraise,les deux méthodes coexistaient donc au sein de la manufacture.

Sur l’illustration qui suit (police incomplète, E. Ploquin, 11 cicero), on constate également une différence dans le tracé des lettres, et comme pour la précédente, on voit nettement les traces de fraises et de gouges.

Les traces des différentes interventions et les différences entre les caractères mises en évidence par un masque rouge reproduisant le contour du premier E.

Taille industrielle

Cette phase se différencie de la précédente par la prédominance de l’outil mécanique sur le travail manuel, c’est la fraise (de la défonceuse, routeur en anglais) qui trace le contour des lettres grâce à son couplage avec un pantographe dont le palpeur suit le contour d’une matrice en carton ou en bois. Avec ce procédé1, l’ouvrier n’intervient plus à la main que pour la finition.
Le pantographe permet de fabriquer des polices de tailles différentes, et ce à partir d’une seule matrice de grande taille, alors que les méthodes par report du tracé au gabarit imposent de fabriquer autant de gabarits que de polices désirées.

Cet exemple est un caractère américain de chez Hamilton taillé dans les années 1950 (police incomplète 10 cicero).
On voit très nettement les traces de la fraise sur presque toute la partie champlevée, l’œil de la lettre est perpendiculaire à la partie non imprimante, c’est la fraise qui dégage (dessine) l’œil de la lettre. Les limites de cette technique sont simplement liées à la taille de la fraise utilisée, on peut parfois distinguer plusieurs diamètres de fraises, mais il est évident que pour les angles, cette outil doit céder la place à la main de l’ouvrier ; voir ci-dessous, dans la partie intérieure, où on distingue l’arrêt de la fraise, la partie qui a été champlevée à la main au canif, ainsi que l’angle de l’empattement.

Un caractère gravé dans la manufacture Hamilton aux USA .

La technique de “découpe-emboutissage” ou “découpe-estampage” (die-cut)

La matrice combine découpe des contours (l’œil de la lettre) et emboutissage (ou estampage) des parties non imprimantes de la lettre (hauteur de socle). L’exemple qui l’illustre ici est une fonte de la fabrique Page & Co de Greenville aux États-Unis (vers 1887), c’est la seule que je possède de ce type, elle porte le nom die cut 505 (ici en 5 cicero). Je n’ai pas encore rencontré d’exemples de ce type de fabrication en France.

L’image montre l’entaille (1) faite par la première partie de la matrice qui entre en contact avec le bois, elle découpe les contours de la lettre. Quelques millimètres plus haut que cette lame de contour, la matrice est pleine et va emboutir, écraser le bois préalablement séparé de l’œil par l’entaille (2). Sur ce bas-de-casse on voit une troisième étape (3), semi-manuelle, qui vise à scier le dessus du talus de tête, qui présente une surface trop importante à emboutir.

Un caractère produit pas estampage, ou emboutissage .

Si cette technique est très rapide (Kelly évoque jusqu’à 100 000 caractères par jour dans ce corps de 5 cicero) elle est très coûteuse en investissement pour la réalisation des matrices, car évidemment, chaque corps nécessite la taille de nouvelles matrices. On doit cette technique à William Page, il dépose un brevet en 1887 (cette mention du brevet est d’ailleurs estampée sur la matrice des A, L et J “patent dec 20 1887”) , après des tâtonnements de McGreary en 1852 (voir Kelly).

Die cut n° 505 par Page & Co USA

Quelques ressources :

Sur la taille au pantographe :

Voir :

Et encore d’autres plus confidentiels dont mes propres essais (à venir).

Il y a d’autres fabricants contemporains (aux Pays-Bas, en Roumanie ) mais ces derniers travaillent essentiellement avec des fraiseuses numériques (CNC).

Bibliographie

KELLY (Rob Roy), American wood type 1828-1900 : notes on the evolution of decorated and large types, Liber Apertus Press, 2010 (reprint de l’édition originale de 1964).

  1. en 1828, aux États-Unis, Darius Wells est le premier à utiliser une fraiseuse latérale pour champlever ses caractères, en 1834, George Leavenworth imagine de coupler la fraiseuse à un pantographe, ouvrant la voix à l’industrialisation de la fabrication des caractères.)